L'ubuntu comme fondement philosophique du kasàlà
Umuntu ngumuntu wa bantu
« L’Homme est Homme à travers les autres »
(Prov. zulu)
Qu'est-ce que l'ubuntu ?
Être un umuntu ou une personne
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QU'EST-CE QUE L'UBUNTU ?
L'ubuntu, c'est :
1. Le système de valeurs qui affecte tous les aspects de la vie et ensemble des codes philosophiques et moraux rendant possible la vie en société
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2. La qualité présente dans chaque acte humain ayant comme objectif la construction de la communauté, selon le proverbe ci-dessus :
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L’homme n’existe qu’au travers de l’autre. Je n’existe que parce que nous existons (Mbigi 1996 : 2). Autrement dit : Toute vie humaine est reliée à la mienne. Je ne peux donc me concevoir, sur les plans affectif, émotionnel et matériel, comme indépendant de la communauté et même de l’environnement
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L’humain ne réalise son « humanité » que par l’interaction d’autres êtres humains. L’ubuntu souligne donc le rôle primordial de la communauté et des relations interpersonnelles
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Lorsque l’autre prononce mon nom, il ou elle me fait être, il ou elle devient un miroir qui me révèle à moi-même (Kabuta 2000 : 29). Car je suis un être de relation !
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Valeur par excellence, l’ubuntu est, avant tout, accueil inconditionnel de l’autre, à travers le système des valeurs ci-dessous. Il est aussi invitation de l’autre dans ma vie. Je me mets à l'écart, pour lui laisser une place, le laisser apparaître.
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Humanité, souci de l’autre, serviabilité
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Hospitalité
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Générosité
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Bonté, bienfaisance
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Gentillesse
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Respect, discrétion
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Loyauté
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Ecoute
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Empathie
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Tolérance
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Compassion, clémence
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Pardon (ex. TRC: rite de purification)
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Gratuité
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Amabilité, affabilité
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Il s'agit d'un ensemble de valeurs à travers lesquelles la personne contribue à sa propre réalisation, son accomplissement ou son parachèvement.
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3. Philosophie qui met la personne et la relation au centre et enseigne comment devenir un être humain digne de ce nom. Elle invite à être bon (à l’intérieur) et être don (à l’extérieur). En effet, mon bien-être personnel est une condition pour que je puisse être un don pour les autres. C’est pourquoi je dois prendre soin de ma santé physique, émotionnelle, mentale et spirituelle. Etre don signifie apporter une contribution positive au niveau politique, culturel, économique et social (L. Ntezimana, n’GO N° 10, 2013: 12)
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4. L’horizon vers lequel l’être humain doit marcher, pour devenir pleinement humain. Autrement dit, invitation à devenir chaque jour plus humain. Le cheminement vers l’ubuntu est générateur de bonheur, plus exactement de bonheur partagé.
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Une vie conforme à l'ubuntu :
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1. Elle exclut :
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Rancune, agressivité, égoïsme, violence, haine
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Avidité, vol, tricherie, mensonge, abus de confiance, paresse, médisance, manque de respect vis-à-vis de soi-même et des autres
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Compétition, sauf pour manifester le meilleur de soi-même
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Ignorance
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2. Elle suppose :
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Vivre ensemble en confiance et en paix
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Respecter le bien d’autrui
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Partager et donner sans rien attendre en retour
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Etre toujours prêt à aider et à se préoccuper de l’autre, sans discrimination aucune
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Contribuer à l’éducation des enfants de la communauté
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Etre prêt à accueillir l’orphelin, lui assurer une éducation, le nourrir et l’habiller, sans attendre de récompense quelconque
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Accepter que ceux que j’ai aidés se tournent un jour contre moi
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Si mon ennemi revient vers moi lorsqu’il est en difficulté, je l’accueille et l’héberge aussi longtemps qu’il le désire
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Etre capable d’honorer celle ou celui qui ne m’aime pas
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La sagesse comme échelle :
Être sage signifie : faire preuve d’ubuntu et de grandeur d’âme.
La sagesse est l’échelle qui conduit au bonheur partagé, grâce aux valeurs suivantes, notamment :
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Dignité, fierté
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Patience
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Maîtrise de soi
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Silence, réserve, maîtrise de la parole
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Prévoyance
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Sensibilité à la honte
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Résilience
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Humilité, simplicité
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Autonomie, travail
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Instruction (notamment par l’ouverture à d’autres cultures)
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Rationalité contrôlée
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Action
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Un monde entre les mains des abantu ou êtres humains :
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1. Au niveau spirituel, l’ubuntu reconnaît un lien puissant entre l’homme et le Réel
2. Il n’y a pas, dans la pensée africaine, de péché originel ni de diable
3. Le Réel, dès qu’il a créé le monde, s’est retiré, laissant aux hommes le soin de gérer celui-ci
4. C’est sans doute la raison pour laquelle il n’y a pas, traditionnellement, de culte direct à un Dieu
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ETRE UN UMUNTU OU UNE PERSONNE
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1. L’être humain est une combinaison de divers éléments :
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Noyau irréductible (chi, wayne bibi, âme, esprit…)
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Double (composante humaine, imparfaite)
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Ombre (composante animale)
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Corps (support des trois autres composantes)
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Nom (véhicule de l’énergie entre les générations)
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2. L’umuntu possède, outre ces qualités, l’ubuntu, part due au travail de l’humain lui-même sur soi, en vertu du postulat que l’Être-Suprême ébauche la personne, mais celle-ci se parachève, se crée
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Dimensions de l'umuntu :
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1. La conception de la Réalité ultime comme étant une énergie nous amène à la conception de la personne comme :
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Champ où des principes physiologiques et spirituels fondamentaux sont concentrés
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Entité constituée de fragments matériels et immatériels de principes fondamentaux de tous ceux qui l’ont précédé
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Concrétisation d’un principe immatériel et infini préexistant
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Multidimensionnel :
- Verticalement, la personne est le résultat de tous ses ancêtres biologiques et spirituels, auxquels elle est reliée, cette connexion remontant jusqu’à l’E.S. Sur cette dimension, elle est également reliée aux générations futures à travers ses enfants et ses œuvres
- Horizontalement, elle est reliée aux autres personnes
- Géographiquement elle est reliée au territoire, à l’environnement
2. L’anthroponyme, dans le kasàlà, permet à la fois d’exprimer et de réaliser cette multidimensionnalité
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LA GRANDE SANTE
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1. Ontologiquement, la personne est une association de principes qui croissent et décroissent ou comme une force insérée dans un monde de forces qui peuvent la transformer, c’.à.d. l’enrichir ou l’appauvrir, la renforcer ou l’affaiblir physiologiquement ou spirituellement
2. Pour cette raison, elle doit vivre en harmonie avec d’autres forces, de manière à bénéficier de leur influence positive
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3. La condition pour rendre l’harmonie possible, c’est d’avoir une bonne santé physique et mentale, c.à.d. grande santé. Seul un corps en grande santé est apte à réaliser la connexion entre l’individu et la force originelle
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4. Pour ce faire, il faut
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Prendre soin du corps et de l’âme
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Pratiquer des rituels qui permettent à l’âme de rejoindre le corps. Il y a deux types de rituels :
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Prophylactique
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Curatif
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5. L’Homme emploie des symboles pour se relier directement (psychologiquement, physiologiquement, spirituellement et socialement à la Source)
6. Le kasàlà, texte rituel, est un symbole complexe, un « mégasymbole »
7. Exemples de rituels :
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Rite lubà (RD Congo) de purification pour jeunes filles, appelé « dikòbolola » (rattraper un objet avant qu’il ne tombe et ne se brise)
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Système d’initiation bambara, le « korè ». Celui-ci comprend six sociétés dites dyow, où passe celle ou celui qui veut se conformer à l’idéal humain, appelé précisément ubuntu dans les langues bantu
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LE KASÀLÀ COMME ETHIQUE
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1. Les mythes expliquent la perte par l’Homme de sa part divine originelle et l’apparition conséquente de la souffrance et de la mort
2. Le kasàlà permet de rétablir l’harmonie initiale
3. Etant donné que tous les êtres (animaux, insectes, arbres, lieux, le soleil…) et surtout l’Homme, sont des émanations de l’Absolu, ils sont dignes d’être célébrés
4. L’homme peut même, prenant de la distance par rapport à soi-même, se célébrer
5. Cette technique relie l’individu à ses ancêtres, à son environnement, à la nature et aux autres personnes
6. Ce faisant, se révèle un soi universel (le pronom « je », p.ex., a une infinité de référents), par quoi se rétablit le lien avec une réalité supérieure et avec le cosmos
7. Autrement dit, il retrouve sa source, condition nécessaire pour sa croissance personnelle et celle de la société
8. Le kasàlàest un chemin rituel rendant l’Homme apte à laisser le passage à un Soi plus vaste
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On est toujours lié à quelqu'un :
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1. La conception du groupe en Afrique est telle que ce qu’on appelle egoest extrêmement relativisé
2. La liberté individuelle est catégoriquement niée et même rejetée
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3. C’est seulement par le biais de ses « chaînes » que l’Homme peut être et rester « humain »… Même la mort ne libère pas l’homme !
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4. « Fils », « Mère », « Fille », « Père », « Oncle », « Mari », « Grand-père », « Epouse », « Membre de clan », « Belle-mère », « Grand-mère », « Chef », « Guérisseur », etc. qui abondent dans le kasàlà, sont les marques de la prédominance du lien
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5. C’est au travers de ces titres – en réalité des « chaînes » ou des liens – que la personne est définie et identifiée
6. Ils ordonnent et déterminent son comportement dans la société
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7. La question centrale : « Qui suis-je ? » ne peut pas trouver de réponse satisfaisante si la relation en question n’est pas connue !
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8. « Je » possède un clan, un autel, un pays, un emploi. Il peut être marié ou non, avoir des enfants ou non. Si « Je » est chef, alors il a des sujets ou des partisans…
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On peut toujours faire des choix :
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1. Dans l’autopanégyrique, le poète se regarde parmi d’autres êtres, comme s’il regardait une fleur parmi d’autres fleurs
2. Il sait que la fleur est attachée à une tige, qu’elle est issue d’un bourgeon développé par une plante fixée dans le sol par on ne sait quelle force au moyen de racines et de radicelles tentaculaires qui lui procurent une variété de substances nutritives en des combinaisons et proportions qui en font une plante particulière
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3. Il sait aussi qu’à l’autre bout, des feuilles ouvertes à l’air libre et au ciel accueillent la lumière des planètes, sans laquelle la plante ne saurait vivre
4. En somme, le poète, à travers une démarche réflexive, ne fait rien d’autre qu’exprimer son émerveillement devant cet ordonnancement des choses et des phénomènes, dont il fait partie
5. Dans ce système de pensée, l’ego apparaît comme une pure abstraction, et la question même de l’ego sans fondement !
6. A travers l’ubuntu, l’on cesse de se focaliser sur soi, de se prendre pour un absolu, l’on s’allège de l’obsession de soi
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7. Je suis libre de faire des choix : de me délester de mes multiples pesanteurs, de choisir, la tristesse ou la joie, la mort ou la vie. Le kasàlà m’y aide !
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JE SUIS UBUNTU
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Je suis Ubuntu
Bon à l’intérieur
Et Don à l’extérieur
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Je m’appelle Humanité
C’est-à-dire Art d’être humain
On ne parle pas de l’Homme
On ne parle pas de la Vie
Sans parler de moi
Compassion je compatis avec l’autre
Empathie je souffre avec elle ou lui
Et je me réjouis aussi de ses succès
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Je suis
Générosité Gratitude et Respect
Hospitalité Fraternité et Humanité
Bienveillance Sollicitude et Accueil
Présence Pardon et Réconciliation
Patience Ecoute et Attention
Bref suis Sagesse
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Je suis
Horizon vers lequel marchent
La femme et l’homme de bien
Je suis Valeur par excellence
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J’invoque la personne
Je lui rappelle sa noblesse
A travers ses noms de force
Célébration je célèbre l’essentiel
C’est-à-dire l’énergie et la beauté
Autrement dit la Vie dans l’être
Je m’adresse à son noyau
Qu’onappelle aussi chi
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Éveilleur-de-conscience
Je l’invite à honorer sa dignité
À utiliser les outils disponibles
À occuper son siège légitime
Nul n’étant ni moins ni plus
Que son semblable
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Je suis Maître de ma bouche
Je connais la force de la parole
Je ne parle pas à tort et à travers
Je connais la valeur du silence
Je suis parfaite Discrétion
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Je sais me mettre à l’écart
Pour laisser le passage à l’autre
Je représente la Personne retrouvée
Je partage mon espace mon temps
Je partage mon repas mon bonheur
Je sens l’autre je danse l’autre
Donc je suis dit le Poète
Senghor l’Admirable
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Une phrase me résume :
Umuntu ngumuntu ngabantu
En langue profane elle signifie :
Que l’humain est avant tout relationnel
Que l’humain n’existe qu’à travers les autres
La vie ne prend son sens qu’à travers autrui
Autrui comme condition de son émergence
Autrui comme miroir à travers lequel
Il prend conscience de soi
Il s’éveille à la Vie
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